Dictons paysans

«Gel en novembre, noël en décembre».
«S’il pleut à la Saint Barnabé, tous les toits seront mouillés».
C’est par de telles inepties que nous nous moquions des proverbes paysans quand nous étions lycéens. De ce temps-là, dans les années cinquante, après la guerre, la tendance en Europe était orientée vers la reconstruction et le redémarrage. Il fallait reconstruire les villes anéanties. Rien d’étonnant à ce que nous-autres enfants de la ville nous moquions des rimes superstitieux des paysans à la campagne.
Ne s’agit-il que de superstitions ou pourrait-il y avoir un rapport avec le temps à venir?
«Neige de mars brûle le bourgeon!»
C’est indéniable. Les fleurs ne supportent pas le froid et se fanent. Souvenons-nous du temps qu’il a fait le mois dernier.
«En avril, ne te découvre pas d’un fil.».
Difficile à contrer.
Adolescents, nous écoutions les prévisions météo que la radio diffusait quotidiennement peu après midi trente. Elles étaient assez bonnes, on pouvait s’y fier. Toutefois pas aussi précises qu’aujourd’hui, puisque nous pouvons maintenant les consulter sur notre téléphone portable pour une région donnée à une heure près. Beaucoup plus précises que la radio dans le temps. Il n’y avait pas encore de télévision. De toutes façons, le pronostic était bien plus fiable que celui du dicton des Lucernois
«Si Mont Pilate porte un chapeau, il fera beau. S’il traîne un sabre, sûr que le temps se délabre»!
Mon attitude en face des règles rimées des agriculteurs n’est désormais plus aussi guindée. Des dictons paysans existent depuis l’antiquité. Ils étaient transmis oralement d’une génération à l’autre. Les petits poèmes tels que
«De juillet la chaleur fait septembre la valeur»
se mémorisaient facilement.
Au moyen-âge une minorité seulement savait lire et écrire. Il fallait donc associer les observations météorologiques telles que l’ensoleillement, la pluie, le brouillard, la neige, le givre aux fenêtres ou le rouge du coucher de soleil, aux conséquences sur le temps à venir. Les rimes étaient le support idéal de la mémoire.
Les rimes, tout comme les prières standardisées, se prêtent très bien à la mémorisation.
«Rouge le soir, espoir.»
«Ciel rouge au matin, temps chagrin.»
«Ciel rouge au matin est un pluvieux voisin.»
«Pluie de septembre, pluie de novembre seront gelées en décembre.»
Des scientifiques ont démontré que la fiabilité de ces observations était lamentable. Lamentable par rapport à nos habitudes actuelles qui exigent exactitude et ponctualité dans tous les domaines. Que veut dire précision dans ce contexte? Pour nous, c’est 1/000 de millimètre sur un tour, 1/100 de seconde sur un chronomètre. Un paysan du moyen-âge considérait une tolérance de deux centimètres (un demi-doigt) lors de la découpe du bois de chauffage comme très précise. Ainsi, une rafale de vent survenant le surlendemain était une prévision précise.
«Du juin le vent du soir est pour le foin bon espoir.»
Dans ces temps-là, la météorologie jouait un rôle au moins aussi important qu’aujourd’hui dans le travail dans les champs et l’élevage. Ce n’est que la façon de la gérer qui était différente. Les gens observaient le temps très attentivement. Ils constataient certaines régularités. Des régularités dans l’évolution météorologique. Des régularités dans la croissance des fruits et des céréales. La plus connue est sans doute la règle des saints de glace. Même les gens de la ville savent qu’il faut attendre le 15 mai «Sainte Sophie» avant de planter les géraniums.
«Attention au premier des saints de glace, tu en gardes souvent la trace».
Tout le monde connaît d’autres notions telles que le «Jour des sept dormants», les «Jours caniculaires», la «Rebuse du mois de juin» ou l’ «Eté indien». Prenons juste un exemple qui comporte une probabilité statistique de réussite de 89%.
La «rebuse du mois de juin» (en allemand «Schafskälte», froid de mouton). Ainsi nommée parce que les moutons viennent d’être tondus à cette époque et souffrent donc sérieusement d’un éventuel retour du froid. Or, autour du 11 juin on subit souvent des journées froides, pluvieuses et instables. Il fait froid après la période printanière de fin mai. L’arrivée régulière de ce phénomène est parfaitement confirmée par les climatologues. Rien que ce fait nous interdit de qualifier les dictons de paysans de pure superstition.
Les paysans disposaient donc de tout un réseau d’observations,

  • le vol des oiseaux
  • l’odeur des écuries
  • l’activité des abeilles «Les abeilles se tiennent à la porte de leur ruche lorsque la pluie arrive»
  • la couronne autour de la lune
  • le tonnerre par temps de pluie froid
  • comment la fumée sorte-t-elle de la cheminée?
  • le verglas
  • la gelée blanche après la pluie
  • et même les douleurs rhumatismales.
  • Toutes les petites pièces de ce puzzle composaient le pronostic des paysans. Les dictons résultants ne représentaient qu’une pierre dans la mosaïque de leur connaissance de la nature. Ils étaient la base de la gestion des travaux des champs et aux écuries. Le but ayant toujours été l’obtention d’un bon rendement pour ne pas souffrir de la faim en hiver.Ce savoir leur permettait de survivre. De maîtriser le quotidien. De se protéger du froid et de la chaleur. De surmonter les conséquences de mauvaises récoltes et de catastrophes naturelles telles qu’inondations, glissements de terrain et avalanches. Ainsi nos ancêtres ont créé le fondement de notre belle vie actuelle.Comparons notre vie dans l’aisance à celle de nos ancêtres d’il y a 200 ans avec leur prévisions météo approximatives et posons-nous la question «Sommes-nous mieux lotis?». Difficile à dire.
  • En fin de compte, toute génération, tout homme est lui-même l’artisan de son propre bonheur.
  • Et nous-autres? Techniquement, nos connaissances météorologiques et nos prévisions sont meilleures. Elles sont à la hauteur de la technologie actuelle. Maîtrisons-nous pour autant mieux notre quotidien? Physiquement notre vie est bien plus confortable. Mais d’autres maux nous préoccupent. Les mauvaises nouvelles des médias. La peur d’une diminution de notre patrimoine. Les inconvénients d’une longue vie.
    Comparons notre vie dans l’aisance à celle de nos ancêtres d’il y a 200 ans avec leur prévisions météo approximatives et posons-nous la question «Sommes-nous mieux lotis?». Difficile à dire.En fin de compte, toute génération, tout homme est lui-même l’artisan de son propre bonheur.

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