Le mariage clandestin de mademoiselle Stockalper

Le mariage clandestin de mademoiselle Stockalper
Une nouvelle du Valais du 18ème siècle en 5 suites.
Quatrième suite

Sous un ciel sans nuages le soleil brillait de ses dernières forces. Raymond Oggier et Ferdinand chevauchaient de Salquenen à St.Léonard aux vendanges. Ils bavardaient à bâtons rompus.
«Mes sincères félicitations pour l’examen réussi, monsieur le notaire» disait le maître de chais avec un sourire en coin. «Désormais vous avez un bon métier. Il ne vous manque plus que la femme idoine pour compléter votre bonheur».
«Je connais bien une personne qui me conviendrait, mais elle ne veut pas de moi. Imagine donc qu’elle veut aller au couvent!»
Arrivés au vignoble, ils attachèrent les chevaux à l’ombre des cerisiers sauvages. Pendant que le maître de chais pontifiait sur le bon rouge et le blanc faible, le regard de Ferdinand embrassait le panorama vers le sud. Depuis les mayens face à Sierre avec les résidences d’été des grandes familles, vers la vallée du Rhône et enfin sur le vignoble des Stockalper. Là se figea son regard. Margaretha cueillait les raisins avec d’autres femmes et des servantes.
A travers le labyrinthe des vignes il s’approcha d’elle. «Margaretha, quel plaisir de te revoir. Comment vas-tu?»
«Ah, le chevalier Ferdinand daigne se montrer» répondit-elle d’un air pincé. Sans le regarder elle continuait de travailler.
«Que se passe-t-il, Gritli? Pourquoi si peu aimable?»
«Ne connaîtrais-tu pas la raison? Tu m’as laissé tomber! Tu m’as quitté sans la moindre explication!»
«Ma chère Margaretha, je t’aime toujours. Ton frère Bonaventura m’avait dit que tu ne voulais plus me voir. Que tu préférais te retirer au couvent. Viens avec moi au bord du Rhône. J’ai une corbeille de mets et une bouteille de vin. Pendant le déjeuner nous allons clarifier ces malentendus.
De retour dans le vignoble vers les deux heures, ils rayonnaient d’un bonheur retrouvé. Plus question de couvent. Ils voulaient enfin se marier.
Ayant à nouveau besoin d’une dispense de publication, Ferdinand se mit en selle pour aller voir le chanoine Margelisch.
«Mon cher révérend, j’ai rencontré Margaretha. Elle m’aime toujours. Les frères Stockalper ont fomenté une affreuse cabale. Nous voulons nous marier. Je l’aime! Ainsi je retrouverai le pouvoir qui me revient! Ce mariage va me procurer les moyens pour alléger la situation financière précaire de ma famille! Si cela ne se fait pas, je suis obligé de m’engager aux services militaires étrangers  comme beaucoup de mes ancêtres. Je déteste ce métier belliqueux. Je préfère rester en vie plutôt que mourir comme héros sur le champ d’honneur! Je vous prie de me procurer à nouveau une dispense.
«Ferdinand, je me réjouis de la renaissance de votre amour. Mais il m’est impossible de demander une deuxième audience à Lucerne pour un même cas. Tu devras trouver quelqu’un d’autre. Laisse moi réfléchir. Il y aurait Antoine Augustini, un comploteur et intrigant plein de ruses. Il a un vieux compte à régler avec les Stockalper. Suite à la mort du gouverneur Wegener en 1792 le poste de capitaine de dizain de Brigue se libéra et Augustini le brigua. Les Stockalper tentèrent d’empêcher ce choix par des intrigues politiques, d’achats de voix et des provocations publiques. Il y eut des bagarres suivies d’escarmouches armées et même des menaces de mort envers la femme d’Augustini. Après presque deux ans de litiges, le combat fut perdu par Augustini. Il n’était pas élu. Obligé de s’enfuir, escorté et à la faveur de la nuit, il s’installa à Loèche où il cherche encore à se venger.»
«Mon cher monsieur Werra, l’entreprise que vous planifiez comporte des risques» disait Augustini à Loèche. «Mais je veux bien vous aider, à la condition que vous suiviez mes instructions au plus près.»
«Ce sera fait avec plaisir, Monseigneur, je suis votre serviteur!»
«J’irai chercher la dispense à Lucerne. Puis nous trouverons un prêtre. Le mariage se fera dans la maison de ma mère à Brigue. Nous y amènerons la demoiselle. Le prêtre donnera sa bénédiction, vous consommerez le mariage aussitôt et vous serez mari et femme.»
En avril de l’année suivante la dispense arriva. Limitée à trente jours, il y avait urgence. Une raison de passer aux actes sans tarder. Le curé de Loèche se défit de sa soutane et, déguisé en civil, se rendit à Brigue, accompagné d’Augustini, Werra, le notaire Bircher et deux témoins. Prévenue par la fidèle servante Ludmilla, Margaretha les rejoignit en même temps.
«Ma chérie, quel plaisir de te revoir. Enfin réunis, dans deux heures nous serons mariés.»
«Crois-moi, mon Ferdinand, je t’aime de tout mon cœur! Mais papa est à l’article de la mort. S’il apprend ce que nous avons fait, il mourra sur le champ. Je serais sa meurtrière.» Dit-elle et disparut.
Tout le monde fut consterné, sans voix, puis désemparé. Ils débattirent à tort et à travers. Fidèle à sa réputation, Augustini prit les choses en main.
«Messieurs, je me suis démené. A moitié malade, je me suis déplacé à Lucerne. J’ai obtenu la dispense. Elle arrive à son terme dans neuf jours. Je n’ai pas fait tout ça pour rien. Il faut prendre un nouveau départ. Je vais m’en occuper. Nous nous retrouverons ici dans quatre jours. Sortez le grand jeu, Werra. Ce mariage doit se faire! Si non, vous finirez dans un régiment français, fut-ce comme capitaine.» 

La dernière Suite parait le 31 juillet 2018

 

 

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