Antisèche
Il y a environ un mois de ça, un article paru dans mon quotidien parlait de manière très ampoulée des antisèches à l’école. Rien que le titre a suffi à me ramener à l’époque où la mascogne jouait un rôle important pour moi, à l’école cantonale de Lucerne. A la „Kanti,“ le gymnase et la section technique étaient réunis sous le même toit. Il n’y avait pas d’enseignants à l’école cantonale, rien que des professeurs. Même l’enseignant de gymnastique était appelé „Monsieur le professeur“. Il n’y avait actuellement que des professeurs, pas de professeuses. Nous, les apprenants, étions les étudiants à l’école cantonale. Dans le langage populaire: les élèves de la Kanti. Pour nous, il s’agissait de survivre dans ce biotope éducatif. C’était l’objectif de tous les étudiants. Survivre! Il fallait passer le bac à tout prix!
Les professeurs étaient bardés de munitions: les notes. Elles étaient canardées pour l’évaluation des examens. Dans le camp des étudiants, il fallait récolter un maximum de notes suffisantes. Ce qui signifie qu’il fallait maîtriser la matière. Cela revenait à tout apprendre par cœur. Ceux qui avaient une bonne mémoire étaient avantagés. Mais la moyenne, bien plus de la moitié des élèves, souffrait d’un net déficit dans ce domaine. Ils avaient besoin d’aides pour atteindre la note requise pour le semestre. Et moi, je faisais partie du fond de panier de ces demandeurs d’aide.
L’ayant appris en cours de mathématiques, j’ai commencé à analyser la situation et à structurer notre biotope en principes, en axiomes.
- Axiome: Chaque professeur a ses sujets préférés particuliers.
- Axiome: la correction des épreuves écrites ne doit monopoliser qu’un minimum de temps au professeur.
- Axiome: Sans solidarité des élèves Kantiens pendant les examens, rien n’est possible. Il doit toujours être possible de copier.
- Axiome: Sans antisèche, cela ne fonctionnera pas non plus. Ce n’est qu’avec cette ressource qu’il y a une haute probabilité de s’en tirer avec un „suffisant“.
La rumeur s’était répandue dans la classe que, grâce à ma systématique, j’étais en mesure de prédire les questions d’examen les plus probables pour les sujets d’examen. Trois jours avant l’examen, on me demandait mon avis. Je dévoilais volontiers mes cogitations. Le taux de réussite titrait 68%.
Pour la correction et l’attribution des notes, les professeurs de sciences naturelles avaient la tâche la plus facile. En premier lieu, les professeurs de mathématiques. Il n’y avait qu’une seule bonne solution. Un chiffre ou une équation. Les professeurs de lettres et sciences humaines étaient ici désavantagés. Ils avaient besoin de beaucoup plus de temps pour corriger les copies.
Toute la section technique de la Kanti – c’était le vivier de ceux qui étaient trop stupides pour comprendre et mémoriser la grammaire et le vocabulaire du grec et du latin – était composée de garçons. A une exception près – Irène, c’était son nom – elle était dans notre classe. Elle était d’un naturel sûr d’elle et avait le sens de la camaraderie. Elle avait compris comment on pouvait se démarquer dans un groupe de garçons pré-pubères. À tous les lecteurs qui s’imaginent maintenant qu’il n’y avait que du badinage et du flirt, ils se trompent. C’était une d’entre nous. Elle jouait super bien au football. Elle faisait du vélo comme Hugo Koblet. Elle racontait des blagues spirituelles et décentes. Elle nous avait tous sous sa coupe. Et sa méthode d’antisèche était imbattable. Elle utilisait son sexe féminin de manière honorable. Singulièrement, à chaque fois qu’il y avait des examens, elle se pointait en jupe et en bas de soie. Sur le haut de ses cuisses étaient fixés ses antisèches dactylographiées. Terra incognita!
Il est temps de se plonger dans l’essence même de l’antisèche.
- Les antisèches ne peuvent contenir qu’un nombre limité d’informations. Par définition, elles doivent être petites.
- Les antisèches doivent être invisibles pour les professeurs.
- Chaque antisèche est maudite car, dès qu’elle est conçue et qu’elle est écrite, on s’est penché si intensément sur la matière qu’on n’en a en fait plus besoin.
L’étude de la fabrication des antisèches est un excellent processus d’apprentissage. Mais il y a des exceptions.
La formule mathématique permettant de transformer un ennéagone régulier en un octodécagone doit être examinée ici d’un peu plus près. La dérivée remplit facilement la moitié d’une page A4. La formule est composée de chiffres, de lettres, de signes plus et moins, de parenthèses rondes et carrées, de puissances et de racines, soit 19 termes au total. Apprendre ça par cœur est réservé aux petits génies.
Notre prof de maths aimait l’air frais. Pendant les cours, les fenêtres des salles de classe devaient être ouvertes tous les quarts d’heure pendant cinq minutes pour laisser circuler l’oxygène. Cette règle s’appliquait également aux examens. Le responsable de l’application de cette règle était le chef de fenêtre, l’élève dont la place se situait le plus près de la fenêtre.
Revenons à la transformation des polygones réguliers. Pendant la récréation, j’avais écrit l’énorme formule à la craie sur la banquette de fenêtre extérieure en grès. Lors des examens, j’étais toujours le chef de fenêtre. Le reste, vous pouvez l’imaginer. Trois fois pendant l’examen, je pouvais vérifier la maudite série de chiffres. Lors de la pause suivante, il suffisait d’un coup d’éponge mouillée pour faire disparaître la triche.
Les antisèches n’avaient pas leur place dans les examens de traduction ou les dissertations. Tous les professeurs devaient noter leurs élèves à la fin du semestre. Le professeur d’histoire avait résolu le problème à sa manière. Il ne faisait pas passer d’examens. Tous les mois, le cours d’histoire se transformait en colloque. Il commençait par exemple par la question «Pourquoi la guerre de sept ans a-t-elle eu lieu?» Une discussion animée s’engageait immédiatement. Tout le monde prenait la parole. Le professeur était un excellent modérateur de débats. C’est pendant ces cours que nous apprenions le plus d’histoire. Et le professeur pouvait ainsi évaluer ses étudiants.
En physique, nous avions appris que «la pression engendre la contre-pression». C’est également applicable à l’esprit des antisèches.
On ne triche que là où cela vaut la peine de tricher.
Tout bon professeur pouvait faire passer des examens où la compréhension et la réflexion étaient testées. De ce point de vue, l’antisèche n’est rien d’autre que la réponse des étudiants à de mauvaises questions d’examen posées par des professeurs peu enclins au travail. Plus le professeur est bon, moins il y a de triche.
Chez les bons enseignants, ceux qui mettent au défi la réflexion et la compréhension avec des questions d’examen et non la capacité de stockage de la mémoire de l’étudiant, le copiage perds son sens.
De ce point de vue, le copiage fait partie de la culture scolaire.
Antisèche
(Suisse: la mascogne – ne serait utilisé que dans le canton de Genève)
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